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Olivier De Schutter, ex-rapporteur à l’ONU sur le droit à l’alimentation, dans son rapport sur les « politiques semencières et droit à l’alimentation : accroître l’agrobiodiversité et encourager l’innovation » (2009), dresse le bilan du système agroalimentaire développé après-guerre. Le constat est très mitigé : parallèlement à la hausse extraordinaire des rendements agricoles, notre modèle agricole est extrêmement vulnérable face aux enjeux globaux du XXIe siècle et de l’Anthropocène : changement climatique, extinction de masse de la biodiversité, pandémie d’obésité, de maladies cardio-vasculaires, hyper-dépendance au pétrole, pollutions diffuses massives, pressions sur les ressources en eaux, dégradation des sols, etc. Or ce système agroalimentaire, industriel et capitaliste, est à la fois victime mais aussi participe au dépassement de nombreuses frontières planétaires (Steffen et al., 2015) et à de nombreux problèmes sociaux comme la persistance de la faim dans le monde. La menace est réelle pour la sécurité alimentaire dans le monde et tout autant dans les pays habitués à la monoculture et aux productions industrialisées (Servigne, 2017).

« Le droit à l’alimentation est le droit de toute personne, seule ou en communauté avec d’autres, d’avoir physiquement et économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante, adéquate et culturellement acceptable, qui soit produite et consommée de façon durable, afin de préserver l’accès des générations futures à la nourriture » (lien). Or, dans la continuité de cette définition, sans aides sociales, sans travail suffisamment rémunérateur et/ou auto-production nulle ou insuffisante, l’effectivité de ce droit n’a plus de réalité. C’est d’ailleurs le quotidien d’environ 704,3 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave et de 821,6 millions de personnes sous-alimentées en 2019 dans le monde (FAO, SOFI 2019). La limitation de l’accès aux denrées alimentaires peut aussi être d’ordre logistique : ex., point de distribution éloigné du domicile, variabilité de l’approvisionnement, etc.

La Transition agroécologique associé à une reterritorialisation de l’alimentaire semble être la voie à suivre afin de développer des systèmes alimentaires résilients et ainsi assurer la sécurité alimentaire des populations à l’avenir.

Mais, me direz vous, quel est notre rôle dans tout ce foutoir ? Association étudiante d’une vingtaine de membres essayant tant bien que mal de répondre à ces questions à l’échelle des campus de l’Université de Limoges… Eh bien disons que l’on commence par le début : un jardin partagé en permaculture, une AMAP étudiante, de l’information qualitey top + sur les réseaux sociaux (WordPress, Facebook, Instagram…), du lobbying pour la transition des campus et l’amélioration de l’offre alimentaire du CROUS, une Semaine de l’Environnement (Réseau GRAPPE) annuelle depuis 5 ans (sauf quand y a un confinement pour cause de pandémie mondiale…), des partenariats avec les assos étudiantes mais pas que (LNE, Terre de Liens, Terres de Cabanes, Véli-Vélo, etc.), des balades, etc.

Cultiver les campus en théorie

« Cultiver notre jardin » serait, selon Voltaire, l’une des clés du bonheur. Prenons le au mot et, en tant qu’étudiant.e.s, cultivons nos campus. C’est dans ce sens que, depuis sept-oct 2015, Campus à Cultiver développe un jardin partagé à Vanteaux (FLSH/ENSA) afin d’en faire un lieu permaculturel à vocation sociale, écologique et démocratique. Il s’agit d’un espace d’autoformation à la permaculture, de sensibilisation aux enjeux environnementaux et sociaux liés à l’alimentation et l’agriculture, production de fruits, légumes et autres comestibles pour les bénévoles de l’association, etc. Le campus de la Borie (FST) compte aussi son jardin partagé géré par Borie Uni’Vert’cité.

Le jardin partagé a certes un rôle d’animation dans la vie universitaire en tant qu’outil d’éducation populaire mais il ne s’agit que d’une jeune pousse qui mériterait de s’étendre et d’essaimer absolument partout !

Les campus de l’Université de Limoges, auxquels nous pouvons ajouter les espaces du CROUS, disposent de grandes surfaces d’espaces verts cultivables largement sous utilisés. 1 ha d’arbres, arbrisseaux, etc. assurent les besoins alimentaires en fruits pour 73 personnes ; avec 1 ha en maraichage, 41 personnes pour des légumes de saisons ; 1 ha de céréales et autres cultures, 9 personnes (Source : PARCEL). Une étude ultérieure plus poussée permettra de déterminer le potentielle agroécologique des campus et jusqu’à quel niveau la production qui en découlerait pourrait être mise à disposition des étudiant.e.s, et tout particulièrement celleux concernées par la précarité alimentaire.

En effet, l’objectif initial des jardins potagers associatifs, familiaux, de quartiers, etc. est la lutte contre la précarité alimentaire, soit traditionnellement un rôle productif (ex. Robert-Bœuf, 2014 ; Leterrier, 1998). Néanmoins, force est de constater que dans le cas de jardins crées par des groupes sociaux riches (infirmier-ère-s, prof. des écoles…), la fonctionnalité nourricière est remplacée par un objectif de loisirs et de villégiature (Guyon, 2008). Le jardin partagé, selon son rôle social, est en quelque sorte une incarnation de l’appropriation d’espaces vert « sans usage pertinent » par un groupe social. Au sein d’une communauté universitaire, les étudiant.e.s ont globalement un capital culturel élevé mais un capital économique faible. Le rôle social d’un jardin partagé peut être potentiellement très variable selon les origines socio-culturelles du collectif investissant dans ce projet. D’où l’importance de se questionner sur en quoi ce projet de jardin partagé est un levier pour la transition (Hartigh, 2013) et pour quelle genre de « transition ».

Le jardin partagé universitaire correspond à un bien de club dans le sens où il n’existe peu ou pas de rivalité entre les personnes associées à son usage mais est théoriquement exclusif car les personnes appartenant à la communauté universitaire sont les premières concernées par le projet. Néanmoins, nous pouvons d’ores et déjà constater que des personnes extérieures bénéficient des aménités du jardins (récolte de menthe, espace de détente, dépôts dans les composteurs…), d’où un caractère non-exclusif dans les faits. De plus, selon le niveau de production qualitative du jardin, des personnes autres que les bénévoles de l’association trouveront un plus grand intérêt, augmentant ainsi la rivalité. Selon les stratégies adoptées et évolutions sur le temps long, le jardin-partagé deviendra un bien-commun et nécessitera donc une gouvernance adaptée, voir une révision profonde de la structure au sein de l’organisation locale collective associée, ici Campus à Cultiver.

Cultiver les campus en pratique

A la recherche d’un modèle de jardin adapté à la vie universitaire

L’expérience montre que la saisonnalité de la plupart des cultures potagères et le travail nécessaire à des productions type maraîchage ne sont pas adaptés au calendrier universitaire et au temps journalier/hebdomadaire de la plupart des étudiant.e.s. En effet, la plupart des plantes potagères (connues) voient leurs « fruits » arrivés à maturité durant la saison estivale, c’est-à-dire au moment où les conditions hydriques sont les plus dures, notamment lorsqu’on ne dispose pas d’une source d’eau permanente (et gratuite), et lorsque la quasi totalité des étudiant.e.s sont indisponibles (famille, travail, stage, vacances, etc.). Pour ces raisons évidentes, la création et le maintient au long terme d’un » jardin potager » (même en permaculture/maraîchage sol-vivant) ne constitue pas un modèle adéquat sur un campus universitaire (même constat pour une école, etc.).

Le jardin partagé en mars 2020 (la serre était encore en bon état…)

Le modèle du jardin-comestible semble être plus adapté pour de multiples raisons. Par rapport à la saisonnalité, nombre d’arbres fruitiers (pommiers, vignes, noyers, noisetiers, châtaigniers, etc.) sont « productifs » sur la fin de l’été voir jusqu’en automne. De plus, ce type d’espèce cultivée, « non-annuel » (permanent), est très autonome une fois planté et abondamment arrosé les premiers temps. Dans cet forme particulière d’organisation du jardin partagé, celui-ci devinent beaucoup plus résilient face à la variabilité du temps de travail humain et aux conditions climatiques. Un « grand » ensemble d’espèces cultivées permanentes (essentiellement des arbres, arbustes, haies, lianes ex. vigne, ronces…) correspond à une « forêt comestible ». L’entretien des arbres et arbustes fruitiers est plutôt léger (…). Le plus gros du travail reste surtout le design permaculturel de la forêt comestible, les récoltes, la distribution (généralement en libre-service) et potentiellement la transformation (ex. préparation de confitures, compote…).

Schéma des étages du Jardin Forêt
Source : https://www.permatheque.fr/2017/03/23/le-jardin-foret/

Nos régions comptent une grande diversité de plantes sauvages (non cultivées) comestibles. Elles sont aussi particulièrement résilientes et prospèrent sans assistance humaine. Les connaitre et leur laisser de l’espace est une manière simple et redoutablement efficace de cultiver les campus et, plus globalement, les espaces (péri)urbains. Nous comptons déjà dans nos rangs de la consoude, des carottes sauvages, du plantain, des pissenlits, de l’avoine blanc, etc.

Avril 2020 : c’était la belle époque pour les pollinisateurs en tout genre…

Développer la biodiversité (cultivée ou non) sur les campus n’est certes pas un travail sans effort mais recouvrir les campus d’arbres (châtaigniers, figuiers, pommiers, etc.), d’arbrisseaux et arbustes (noisetiers, pruniers, sureau, chèvrefeuille comestible, framboisiers, etc.), de plantes vivaces (ail des ours, fraisier, blette sauvage, poireau perpétuel, asperge, etc.) et bien d’autres encore (…) est un objectif parfaitement atteignable dans les années à venir.

Nos projets pour la biodiversité cultivée et la résilience alimentaire

Développement d’une forêt comestible & d’une pépinière

Comme expliqué précédemment, la forêt comestible correspond à un modèle potentiellement adéquate pour un jardin partagé universitaire.

Tentative de création d’une haie fruitière avec des boutures de framboisiers, cassissiers, groseiller, etc. (Mars 2020)
Boutures diverses et variées (Novembre 2020). On va la faire cette haie fruitière !

En pratique, un tel projet nécessite bien plus de surface que les 400 m² que nous avons pour le moment à notre disposition. La création d’une forêt comestible nécessite bien plus de surface du fait de la distanciation requise entre les arbres (par exemple entre des pommiers/poiriers/pruniers… elle est de min. 8 mètres (Source : Hervé-Gruyer, P., & Hervé-Gruyer, C., 2019). Face à certaines « lenteurs administratives », l’urgence (6ème extinction de masse, vulnérabilités du système alimentaire…) et afin de créer une dynamique suffisante autour de ce projet, la nécessité de désobéir pour préserver et régénérer l’agrobiodiversité se faire sentir…

Selon la période et même en allant jusqu’au bout du modèle de la forêt comestible (1000 m²), 1 à 3 ateliers par semaine sur toute l’année, avec à minima 4-5 personnes, seraient requis pour maintenir un bon état et obtenir des résultats sur le plan de production et de l’animation du campus. Ainsi, en terme d’organisation, ce projet est loin d’être insurmontable.

Pour aller plus loin :

Développer de nouveaux jardins coopératifs sur les campus

Pour débuter un jardin-potager coopératif, quelques conditions sont à remplir :

  1. un collectif de personnes motivées et capables de mobiliser les compétences nécessaires à un projet permaculturel (design, plantations, suivi des cultures…) ;
  2. un espace cultivable non pollué : largement disponible sur les campus, il faut toutefois prendre le temps d’étudier les plantes bioindicatrices et des analyses pédologiques avec des sondages à la tarière ;
  3. un local (typiquement une cabane en bois) où stocker les outils, les graines, des fournitures diverses et variées ;
  4. un système d’irrigation (dans notre cas, il s’agit d’un système de récupération d’eau pluviale) dimensionné pour répondre aux besoins.

Grainothèques & réseau d’échange entre les jardins coopératifs de Limoges

Afin de faciliter le développement des jardins partagés, nous avons besoin de renouer avec une forme particulière de sociabilité : les échanges de graines, et plus généralement, des ressources phytogénétiques (semences, boutures, plants…).

Le projet de grainothèque est issu de deux constats : nous avons besoin de reproduire des variétés adaptées aux conditions pédo-climatiques locales et nous recevons de temps en temps des dons donc partageons !!

C’est pourquoi nous voulons initier/encourager la création d’un réseau d’échange de semences paysannes et citoyennes à Limoges et alentours qui interconnecterait les jardins-partagés, des paysan.ne.s locaux, des grainothèques, des jardins familiaux (Cf. article du Populaire), le Jardin botanique de l’Évêché et sa « banque de graines« , etc. Nous pouvons imaginer à l’avenir que les réseaux (in)formels de grainothèques mobilisent de plus en plus d’habitant.e.s du territoire, et puisse devenir « institution » motrice de la transition agroécologique sur le mode de l’autogouvernance (auto-organisé, décentralisé et horizontal).

Du à l’usage de semences conventionnelles, cataloguées, « 75% de la diversité génétique des plantes cultivées a été perdue entre 1900 et 2000. 80% des légumes cultivés il y a cinquante ans ont disparu » (FNAB, Bio Aquitaine et CAB, d’après la FAO). Il s’agit d’une menace réelle pour la sécurité alimentaire et plus encore dans les pays habitués à la monoculture. La monoculture est en elle même une aberration car elle ne permet pas de développer des paysages nourriciers, lesquels doivent être multifonctionnels sur le plan agroécologique (Cf. notion de « paysage comestible » développée par Gilles Clément, ingénieur horticole, paysagiste, jardinier, écrivain, enseignant à l’ENSP de Versailles). Ce réseau d’échange de ressources génétiques sera l’un des moteurs de la transition agroécologique. Toutefois, un tel réseau nécessite de voir émergé un nouveau type d’acteur : lae semencier-ère colporteur-se ou colporteur-se de graines. Son rôle passerait par sa capacité à « réseauter », se déplacer entre les espaces urbains cultivés (par ex. à vélo armé d’une remorque faisant office de grainothèque mobile) et de mobiliser des compétences comme la connaissance approfondie de la (agro)biodiversité locale et des méthodes de multiplication des végétaux. Renouer avec des formes anciennes d’échange de graines (…) tout en modernisant l’approche du colportage de graines (…) sera, dans un monde post-pétrole, une fonction vitale des systèmes alimentaires.

Les autres jardin-potagers coopératif à Limoges : Jardin Gonthier (Association de Loisirs et d’Intégration Sociale), jardin partagé du Vigenal (centre social VITAL), jardin potager coopératif du Parc des Etoile (Terres de Cabanes Limoges), le jardin partagé de la Ruchidée

Le jardin des Lavandière de l’Accorderie Limoges
L’image contient peut-être : plein air
Jardinons Ensemble à Limoges (jardin d’Orsay & de la Roche au Gô)

Réseau d’échange de semences paysannes dans le Limousin : Mille et une semences limousines

Conclusion

Nous avons besoin que de nombreuses personnes nous rejoignent afin que ce jardin partagé réponde à ses missions et que les différents projets présentés ci-dessus (et bien d’autres…) puissent être menés à bien.

Campus à Cultiver revendique une organisation en horizontalité, c’est-à-dire sans chef.fe donc en auto-organisation. L’auto-organisation, pour qu’elle fonctionne, nécessite un haut niveau de participation et que chacun.e s’informe et informe.

Ainsi, si vous jugez que ce que porte l’association Campus à Cultiver est d’intérêt générale, rejoignez-nous !

Pour aller plus loin… un peu de biblio

Christophe Bonneuil, Frédéric Thomas, & Olivier Petitjean. (2012). Semences, une histoire politique : Amélioration des plantes, agriculture et alimentation en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Paris/France: Éditions Charles Léopold Mayer.

Den Hartigh, C. (2013). Jardins collectifs urbains : Parcours des innovations potagères et sociales. Dijon: Éducagri éd. Hartigh, C. D. (2013). Jardins collectifs urbains : Leviers vers la transition ? Mouvements, n° 75(3), 13‑20.

Den Hartigh, C. (2013). Jardins collectifs urbains : Leviers vers la transition ? Mouvements, n° 75(3), 13‑20.

Guyon, F. (2008). Les jardins familiaux aujourd’hui : Des espaces socialement modulés. Espaces et societes, n° 134(3), 131‑147.

Leterrier, S.-A. (1998). Cabedoce Béatrice et Pierson Philippe (dir.), Cent ans d’histoire des jardins ouvriers, 1896-1996. La ligue française du coin de terre et du foyer , 1996. Revue d’Histoire du XIXe siècle – 1848, 17(2), 92‑93.

Hervé-Gruyer, P., & Hervé-Gruyer, C. (2019). Vivre avec la terre : Manuel des jardiniers-maraîchers (Actes Sud).

Ostrom, E., & Baechler, L. (2010). Gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles. Bruxelles: De Boeck.

Robert-Boeuf, C. (2017). Cultiver la ville en Russie. La datcha à Kazan : Histoire de pratiques jardinières. Géographie et cultures, (101), 17‑34. doi: 10.4000/gc.4740

Sencebe, Y. (2013). Quand la défense de la terre nourricière s’invite au coeur des villes : Empaysannement de luttes urbaines : L’exemple du Potager Collectif des Lentillères. Pour, 220(4), 327. doi: 10.3917/pour.220.0327

Servigne, P., Cochet, Y., Hervé-Gruyer, P., & Schutter, O. D. (2017). Nourrir l’Europe en temps de crise : Vers des systèmes alimentaires résilients. Nature & Progrès.

Auteur.e.s : Denis Huret, Léa Martin, tous droits réservés.

Publié le 17 novembre 2020

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